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Chroniques d'une jeune agrégé
en stage
ARCHIVES 2 [Chroniques 4 et 5]
Cette page regroupe les premières chroniques de Cécile Rossignol.
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Projet Albion
16 mars 2002 - Chronique 5
Bonjour,
Cela fait bien longtemps que cette chronique aurait due être écrite... Je
m'excuse d'avoir fait attendre ceux que ma précédente chronique avait fait réagir,
et en profite pour les remercier de leurs messages de soutien et de leurs
conseils qui furent nombreux et instructifs.
Pourquoi, donc, avoir tant attendu et tergiversé avant de vous livrer à
nouveau mes impressions? Négligence? Peut-être. Manque de temps? Certainement.
Mais surtout, un sentiment de ne pas savoir quoi écrire en définitive tant il
y aurait à dire...
Pour faire de la paraphrase: je ne sais trop que dire, ni par où commencer...
Si, peut-être par le fait que mes classes me donnent toujours autant de fil à
retordre. Je crois que je n'ai eu de chance ni lors de mon affectation, ni au
moment de la répartition des classes.
En fait, mes élèves sont complètement "déjantés" quand ils ne
sont pas purement et simplement "défoncés" en cours. Ils ressentent
un sentiment d'impunité assez incommensurable; à tel point que cela pourrait
me faire franchement peur si je ne m'étais pas habituée à leurs fanfaronnades
et bêtises permanentes... Face à cette situation plus qu'inquiétante, et
surtout, à mon sens, plus que néfaste au bon développement psychologique de
ces adolescents à la recherche d'eux-mêmes, tout le monde reste impuissant:
les profs, l'administration, les parents. Les élèves ont trop bien compris
qu'ils étaient quasiment intouchables... 3 jours d'exclusion pour insulte à
prof ou tags sur les murs du gymnase, sont peut-être vécus comme une
stigmatisation la première fois, mais bien vite, cela devient une fierté, un
sentiment d'avoir bravé l'Autorité, l'Ennemi, d'être grand et fort, en un mot
d'être un homme (je vous rappelle que dans mon lycée, il y a 70 filles sur
mille élèves).
Pour résumer, les sanctions et les rapports ne servent pas à grand-chose. Ils
ne portent pas souvent les fruits escomptés, et ne font que marginaliser un peu
plus ceux qui y sont abonnés et aviver les conflits profs/élèves toujours
latents. En fait, ils sont plus donnés pour la forme qu'autre chose,
symboliquement, parce qu'il y a des comportements qu'on ne peut pas laisser
passer sans rien dire. Mais personne n'est dupe, devant des élèves
fou-furieux, cela ne sert strictement à rien.
De toutes manières, je ne suis pas partisane du sanctionnage à tout va.
J'essaye plutôt de discuter avec mes élèves, de les faire réfléchir sur
leur comportement, de les responsabiliser vis-à-vis de leurs études. Mais je
dois bien avouer que, là non plus, les résultats ne sont pas formidables... Je
me heurte en fait à deux problèmes majeurs: soit les élèves sont persuadés
d'être dans leur bon droit (auquel cas le dialogue est quasi impossible); soit
ils conviennent tout à fait de la situation quand on leur en parle en fin de
cours, mais sont incapables de se contrôler lorsqu'ils sont dans la classe:
c'est l'effet de groupe. Sans parler du troisième cas, parfaitement exaspérant:
la mauvaise foi éhontée (et ça, j'aime pas, mais pas du tout)!
Mais laissez moi vous donner des exemples concrets de mes derniers cours en
date, afin que vous compreniez mieux ce à quoi je me heurte en permanence. J'ai
eu des élèves qui ont refusé de se lever pour aller allumer la lumière
(l'interrupteur étant tout au plus à un mettre d'eux) et qui sont restés à
leur bureau, blousons fermés, sacs fermés sur la table, en faisant semblant de
dormir. D'autres élèves ont refusé de sortir de la salle de cours pour se
rendre chez la CPE car: "Il fait chaud dans la classe et froid
dehors"! Et toute une classe s'est amusée à faire sonner ses portables en
contrôle (oh, comme c'est drôle)! Le tout en une matinée: ça fait
beaucoup...
Je ne parle pas de ceux qui taggent LSD sur les murs des salles, cassent les
vitres à coup de ballons de foot, mettent le feu aux poubelles ( 6 départs de
feux la même semaine), s'insultent et se battent en cours, ou se promènent
avec un couteau dans la poche! Et ces exemples ne sont pas tirés d'un thriller
psychologique intitulé "Le Cauchemar des Profs", mais pimentent mon
quotidien (some like it hot...)!
Heureusement qu'il reste quelques élèves sérieux, qui travaillent contre
vents et marées... Très honnêtement, je me demande comment ils font pour
endurer le chahut général et rester un minimum concentrés! Je les plains
beaucoup, faute d'arriver à mieux faire, et ils ont vraiment toute mon
admiration... Mais ceux-là n'osent pas manifester leur mécontetement, sinon à
demi-mot. C'est la tyrannie des médiocres et c'est parfaitement révoltant et
insupportable!
Enseigner à de tels élèves et les faire progresser tient de la gageure. Ne
pas se démotiver aussi. Les autres profs qui ont l'une de mes classes disent
n'avoir jamais vu cela auparavant dans l'établissement. Et ce sont des profs
chevronnés, habitués au lycée technique, et habitués à s'y faire respecter.
Mais là, personne ne sait plus quoi faire: c'est l'enfer dans tous les cours.
Reste que j'attends mon inspection qui devrait avoir lieu avant les vacances de
Pâques. Je n'ai pas gros espoir... Et pourtant je me donne vraiment de la peine
pour préparer mes cours et trouver des choses susceptibles d'intéresser mes
classes. Si seulement la titularisation pouvait être donnée au mérite, je
crois que je l'aurais tout de suite... Malheureusement, il n'en est rien, et, à
moins d'un miracle, je ne vois pas comment mes élèves pourraient bien se
comporter ce jour-là. Même avec toute la bonne volonté du monde (car la
plupart m'aime bien, je crois), certains sont incapables de suivre un
cours calmement pendant une heure, tant leur capacité de concentration est
faible...
J'attends donc la suite des événements avec une certaine angoisse et vous
tiendrais au courant des résultats...
A bientôt,
Cécile
04
octobre 2001 - Chronique 4
Bonjour,
Tout d'abord, je tiens à vous dire que c'est vraiment parce que je me suis
engagée à tenir cette chronique que j'écris aujourd'hui. J'en ai trop gros
sur le coeur pour avoir envie de raconter quoi que ce soit.
Mon premier mois a été extrêmement difficile, et, à l'heure où je vous
parle, je serre encore les dents pour essayer de m'en sortir.
Mes élèves ne sont pas de mauvais gamins, mais ils n'ont aucune idée de ce
qui se fait, et de ce qui ne se fait pas. Mon cours (de 2nde) est un bordel
innommable, et je ne sais pas comment arriver à avoir une emprise sur eux.
Si je leur fais un sermon, chacun des élèves considère que ce n'est pas à
lui que je m'adresse, mais à son voisin, et ne remet donc absolument pas en
cause son attitude. Si je m'adresse à un élève en particulier, ça a un effet
sur lui qui varie de 15 secondes à 20 minutes, avant qu'il retombe dans ses
travers. Si je fais mine de piquer une colère, ça rend ma classe hilare. Les
travaux supplémentaires et punitions en tous genres pour travail non fait ou
comportement inadmissible en cours, mes élèves ne les font pas. Les mots
dans le carnet de liaison, ils oublient (vraiment) de les faire signer...
C'est dire si ça les traumatise... Les colles? J'en ai donné au dernier
cours. On verra bien si ça leur fait quelque chose...
Ce qui est le plus dur, peut-être, c'est le manque de respect. Je respecte
mes élèves profondément, malgré tout ce qu'ils me font subir. On ne peut pas
en dire autant d'eux. OK, je suis jeune, je suis une nana, et je suis face à
des classes de mecs qui ont entre 15 et 19 ans. C'est quand même pas une
raison pour qu'ils répètent ce que je dis en prenant une voix haut perchée!
Si vous me rétorquez que quand ils font ça, ils prononcent pour une fois une
phrase correcte en anglais, moi, je ne réponds plus de rien!
Ce qui est dur, aussi, c'est que même si des gens sont là pour me conseiller
et m'épauler au besoin, personne n'est là dans ma salle pour me voir à
l'oeuvre et voir à quel point les élèves m'en font baver. Le professorat est
un métier où l'on est seul, seul face à ses élèves, face à ses erreurs, face
à ses faiblesses. J'ai parfois l'impression que même si j'explique ce qui se
passe, personne ne peut comprendre, et personne ne comprend.
Evidemment, je culpabilise. Je me dis que c'est moi qui ne sais pas m'y
prendre. Bien sûr, j'ai pas un public facile...Mais ce qui serait surtout
facile, c'est de dire que tout est de leur faute, et rien de la mienne. Y'a
forcément un truc qui va pas dans ma façon de faire, et ça saute sûrement
aux yeux, mais moi, je le vois pas.
J'ai été trop cool au début (et dieu sait que j'en paye les conséquences au
prix fort tous les jours). Mais maintenant, je suis plus cool du tout. Je
négocie plus rien. Je laisse plus rien passer. Je contrôle tout. Je suis
obligée de passer dans les rangées au début de chaque cours et de noter qui
a fait quoi. Si les devoirs ne sont pas faits, je donne des devoirs
supplémentaires. S'ils ne sont pas faits, je colle. Et malgré tout, ils ne
comprennent toujours pas qu'il faut bosser.
Peut-être que mon plus gros défaut, c'est que mes élèves, je les aime ( je
me demande parfois jusqu'à quel point je serais pas un peu maso). Ils
m'intéressent. J'ai envie de les connaître. Quand je regarde ma classe,
j'arrive pas à voir des élèves avant de voir des êtres humains. Je cherche à
comprendre comment ils fonctionnent avant de leur faire comprendre comment
ça fonctionne avec moi... Cette fameuse distance, cette barrière qui en même
temps protège le prof et assoit son autorité, j'arrive pas à l'instaurer.
C'est pas dans mon caractère. Y'a des jours, je me dis que j'ai plus le
profil d'une CPE que d'une prof d'anglais... Il va falloir que je me fasse
violence parce que mon "confort nerveux" (pour ne pas dire ma survie) en
dépend.
Voilà, au jour d'aujourd'hui où en sont mes réflexions. Mais tout évolue si
vite que je ne peux pas vous garantir que dans une semaine je serai encore
d'accord avec la moitié de ce que j'ai écrit... Pour l'instant, je fais du
yoyo nerveux. J'oscille entre euphorie totale, pêche d'enfer, mauvaise
humeur et tentation de me renfermer sur moi-même. C'est épuisant. Le seul
véritable achievement de mon premier mois d'enseignement, c'est que j'ai
perdu 3 kilos! Et ça pour moi, c'est vraiment une perf ! Ça bouffe tellement
d'énergie de faire le clown pendant 6 heures pour tenter d'intéresser des
gamins qui n'en n'ont strictement rien à f......... . S'ils se rendaient
compte de ça, peut-être alors qu'ils y mettraient un peu du leur... Mais
non, là, je m'égare encore, je compte encore sur leur bonne volonté et leur
capacité à se raisonner... Là, vous avez compris mon principal problème...
Bref, je rentre en classe comme on part au combat, en me disant que s'ils
ont gagné des batailles, ils n'ont pas encore gagné la guerre, et que c'est
aujourd'hui que j'arriverai à leur prouver que OUI, l'anglais est une
matière intéressante, et que OUI, en faisant un minimum d'efforts, ils
arriveront à progresser. C'est pas un cerveau qui leur manque, c'est la niac
d'y arriver. De toutes manières, ils sont persuadés qu'ils sont nuls et
qu'il n'y a rien à y faire. Dès lors, par revanche, par dépit, par volonté
de s'affirmer sur un terrain qui leur est familier, ils sapent tout, ne font
aucun effort, bordélisent tout et nous font vivre l'enfer. Si seulement ils
pouvaient comprendre qu'eux comme moi on poursuit tous le même but: qu'ils
s'en sortent. Mais non, impossible de discuter avec eux, impossible de les
raisonner, impossible de les projeter dans un avenir à moyen terme. Ils sont
enfermés dans leurs certitudes et c'est pas avec des débats ou des leçons de
morale qu'on les fait avancer...c'est en sévissant...je trouve ça déplorable
et ça me pèse beaucoup, mais pour l'instant, j'ai pas le choix. Pour faire
simple: c'est eux ou moi.
J'ai écrit cette chronique au fil de la plume, d'où son aspect décousu et je
m'en excuse, mais parfois, comme on dit, faut que ça sorte...
J'espère que vous n'avez pas maintenant une trop piètre idée de moi... Je
vous rappelle que j'ai pas un bahut facile, pas des classes faciles et un
emploi du temps pourri. Si vous aussi vous traversez le même genre
d'expérience que moi, vous savez maintenant que vous n'êtes pas tout
seul....
Par contre, moi, j'ai besoin d'être soutenue et d'entendre que c'est dur
pour d'autres aussi. Vous gênez pas pour laisser un petit mot sur le forum,
ça me fera plaisir.
Malgré tout ce que vous venez de lire, je ne me suis encore jamais sentie
complètement désespérée ou découragée, et je considère ça comme mon atout
majeur. Je finirai bien par m'en sortir. Je sais trop bien pour avoir vécu
des choses très dures dans ma vie que quand on est vraiment au pied du mur,
on se découvre une force de faire face qu'on ne savait même pas qu'on avait
en soi. J'en suis pas encore là, mais si les choses empirent, c'est
peut-être ça qui va me sauver (c'est fou le nombre de fois où j'ai mis
"peut-être" dans cette chronique...).
En tous cas, j'espère avoir de meilleures nouvelles à vous donner la
prochaine fois...
A bientôt,
Cécile
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Dernière mise-à-jour: 13/06/2002
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