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Entretien avec Jean-Louis Duchet,
Secrétaire général de la SAES (Société
des anglicistes de l'enseignement supérieur)
Internet et les anglicistes
(profs et étudiants)
"Les fonctions de base d'Internet jouent toutes un rôle très important dans la formation des anglicistes."
Le Projet Albion -- Quand et
comment avez-vous découvert internet, et qu'en pensiez-vous alors?
Jean-Louis Duchet: J'ai dans mes archives des courriers électroniques
datant de 1986: à l'époque la correspondance immédiate avec les collègues proches et
lointains était un progrès considérable, en dépit d'une interface rébarabative faite
de commandes claviers bien complexes à mémoriser... Dans les années 1993-1994.
j'utilisais le fureteur "gopher" pour sonder des sites de données et cela
paraissait déjà fabuleux alors que l'interface de type navigateur n'existait pas encore.
PA -- Quelle est l'attitude
de vos collègues enseignants et chercheurs par rapport à internet? Doit-on encore parler
de "frilosité française"?
JLD: Dans l'ensemble les collègues s'y mettent progressivement. Mais cela
reste le fait d'une minorité pour ce qui est du web, de sa consultation et a fortiori de
l'élaboration de pages web. Il y a encore peu d'équipes françaises de recherche en
anglistique qui ont leur propre site web. En revanche, la fonction la plus banale
d'Internet, la correspondance électronique s'est très vite généralisée. L'utilisation
de la liste de messagerie des universitaires anglicistes, par exemple, a créé un effet
remarquable de forum professionnel et de communauté électronique, dont les échanges se
sont intensifiés considérablement depuis l'époque pré-électronique.
PA -- Et en ce qui concerne
les étudiants?
JLD: Le succès est foudroyant pour la documentation électronique...
Encore faut-il que les étudiants aient un accès à Internet. Dans mon université il est
rendu aisé aux étudiants de maîtrise, de DEA et de doctorat qui ont à l'Université
des salles spécialisées qui leur sont réservées, avec un accès Renater beaucoup plus
rapide que celui auquel on peut prétendre avec un modem depuis chez soi. En DEUG et en
licence la salle réservée est très fréquentée et il est plus difficile d'accéder.
Mais une minorité significative d'étudiants (sans doute moins forte néanmoins que dans
les UFR scientifiques et technologiques) s'équipent chez eux. Il est clair que les
anglicistes sont plus sensibilisés que les étudiants des autres langues.
PA: -- Y a-t-il un effort
d'initiation et de "démystification" à entreprendre auprès des étudiants et
des enseignants récalcitrants?
JLD: Oui, sans doute. Je m'y emploie pour ma part à l'Université de
Poitiers et au sein de la Société des Anglicistes de l'Enseignement supérieur.
PA: -- L'Université
française est-elle suffisamment équipée? Est-elle en retard au niveau européen? Le
"modèle américain" [fac sur-équipées, profusion de sites, profs
enthousiastes...] doit-il être suivi?
JLD: Il me paraît évident que les exigences en matière de documentation
scientifique vont s'accroître de la part des jurys de maîtrise, DEA et doctorat car
l'accès à la bibliographie d'un sujet, à des corpus littéraires, historiques ou
linguistiques est d'ores et déjà considérablement simplifié. Et tout le monde s'attend
donc maintenant à ce que les étudiants aient eu accès à cette documentation.
L'équipement des universités françaises est très inégal. Et il me semble
particulièrement faible pour les étudiants en région parisienne.
PA: -- Selon vous, quels
avantages concrets Internet présente-t-il pour les anglicistes, qu'ils soient étudiants
ou enseignants?
JLD: Les fonctions de base d'Internet (messagerie, fichiers transférables
par FTP, web) jouent toutes un rôle très important dans la formation des anglicistes.
Pour les étudiants jusqu'au niveau de la licence, il accroît la familiarisation avec le
monde anglophone déjà permise par la réception des chaînes des médias anglophones par
câble ou satellite. Cette familiarisation avec le monde anglophone, qui ne doit pas
exclure une vue normalement critique des messages reçus, est notoirement plus faible en
France que dans les autres pays européens de l'Ouest: les étudiants portugais ou
finlandais, sans parler des Néerlandais ou des Norvégiens, ont un accès plus régulier
à la langue et à la culture des pays anglophones que leurs homologues français. Pour
les étudiants à partir du niveau de la maîtrise, c'est leur insertion dans le monde de
la recherche au niveau international qui est rendu beaucoup plus général. La
possibilité de communiquer aisément avec des spécialistes d'un champ de recherches
pointu, spécialistes dont l'existence même pouvait naguère nous rester inconnue, la
possibilité de connaître les programmes de travail des laboratoires et centres de
recherche étrangers (et donc de choisir une université où aller passer une période
longue) ont profondément modifié le rythme et la nature des travaux conduits par les
étudiants anglicistes.
PA: -- Jusqu'à très récemment,
on a fait des recherches et des études brillantes sans Internet. Peut-on encore s'en
passer, ou est-ce que cela revient à se compliquer la tâche?
JLD: On n'est pas prêt de fermer les B.U.,
c'est évident. On est même prêt à demander qu'elle soient ouvertes plus longtemps, car
elles s'équipent et doivent s'équiper davantage encore des moyens de documentation
électronique qui leur permettront de mieux remplir leur mission. Elles donnent accès par
leurs catalogues en ligne à la documentatioin papier qui reste colossale encore
actuellement. Elle donnent et donneront accès à la documenation électronique qu'elles
sont à même de produire par la valorisation de leurs fonds anciens, et de diffuser par
leur expérience de la veille documentaire, quel que soit le support du document. Les
étudiants de Lettres modernes, par exemple, étaient moins enclins que les anglicistes
à utiliser l'Internet. Depuis le mois de janvier 2000, date à laquelle la
Bibliothèque Nationale de France a publié sous forme numérique des milliers d'ouvrages
anciens rendus maintenant accessibles sur le web au format PDF, les mêmes étudiants sont
beaucoup plus avides d'un accès qui correspond mieux à leurs besoins.
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